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2024-02-11 22:05:43 +00:00
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title: LE «BETHLEEM» D'AUBEVOYE
author: Blanquart
rights: Public Domain
language: fr-FR
date: 1903-09-24
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Le 24 septembre 1903,
M. l'abbé Blanquart, curé de la Saussaye fait un exposé.
# LE «BETHLEEM» D'AUBEVOYE
2024-02-11 22:35:13 +00:00
Parmi les noms de lieu que le monde chrétien emprunta à la Palestine, celui de Bethléem, pour la fréquence de son emploi, occupe sans doute le premier rang. Un village de Wurtemberg, un autre de Belgique, un troisième du canton de Berne, dans la Confédération helvétique, puis, aux États-Unis, plusieurs villes, une foule de bourgades et de hameaux l'ont successivement adopté.
A cette liste, il convient de joindre celle des établissements religieux qui s'honorèrent de porter un si beau titre, une maison de moniales de l'ordre de Saint-Augustin, près de Mons en Hainaut, un couvent de Clarisses, à Gand, et l'abbaye bénédictine de Ferrières en Gàtinais non loin de laquelle, sur le territoire de Chàteau-Landon, les Templiers tinrent jadis un fief pareillement désigné.
Enfin, on sait qu'à la suite des irrémédiables désastres qui causèrent la perte du jeune royaume de Jérusalem les évêques de Bethléem-Ephrata, chassés de leur siège, vinrent chercher un refuge et fixer leur résidence dans l'hôpital à eux légué par la sage prévoyance des ducs de Nevers, à Pantenor, un quartier suburbain de Clamecy, dorénavant appelé le faubourg et la Maison-Dieu de Bethléem.
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Tout autres furent, à Aubevoye (1), les origines de l'église ou chapelle de Bethléem dont la création est due à un oncle paternel de Henri IV, ce cardinal de Bourbon que les Ligueurs lui opposèrent un moment, après l'avoir proclamé roi sous le nom de Charles X.
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Archevêque de Rouen de 1350 à 1590, le prélat, qui faisait élever, dès 1563, près de son château de Gaillon, les murs de la future Chartreuse de Notre-Dame de Bonne-Espérance, devenue plus tard la Chartreuse de Bourbon-lez-Gaillon (2), voulut posséder, aux portes de sa seigneuriale demeure, une fidèle image de l'humble et pauvre étable de Judée.
Voici comment les faits sont racontés par un des rédacteurs du cartulaire (3) : « La piété de notre fondateur luy ayant inspiré le dessein de hastir, auprès de son chasteau de Gaillon, une église semblable à celle que sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin, avoit fait bastir à Bethléem, au meme endroit où est né le Sauveur du monde, il envoya un architecte en la terre sainte pour en lever le plan et en prendre la grandeur, la hauteur et la figure. L'architecte étant de retour, il se trouva quil n'avoit pas bien pris ses mesures et qu'on ne pouvoit pas s'en servir pour faire l'édifice désiré.
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« Cet accident ne refroidit point la dévotion de notre fondateur. Il y renvoya une seconde fois et, le voyage ayant mieux réussi, il fit bastir, suivant les modèles qu'on avoit apportez, sur la coste, près les murs du parc du chasteau, laquelle regarde la Chartreuse, cette église que l'on nomme Bethléem et qui a donné le nom au triège dans lequel elle est, c'est-à-dire aux terres des environs ».
Il ajoute en marge :
« Dom Tranquille dit cela un peu autrement dans son Histoire, partie 2, chapitre iv (1). C st à sçavoir que notre fondateur envoya son architecte par deux fois en la terre sainte pour y prendre les longueurs, largeurs et formes des bastimens et églises qui sont restés sur pied, dont il apporta plusieurs crayons, et c'est peut-être sur ces crayons qu'on a basti l'église de Bethléem (2) ».
Ces deux citations me paraissent demander quelques mots de commentaire.
(1) Cette histoire du monastère dont il est parlé en plusieurs endroits du Gartulaire et qu'aurait écrite, vers 1660, un des religieux, dom Tranquille Le Maître, ne nous a pas été conservée.
(2) Gartulaire de la Chartreuse de Bourbon-lez-Gaillon (Arch. de l'Eure, H. 1144).
Remarquons d'abord le curieux incident qui obligea l'architecte du cardinal, probablement Pierre Marchant, précédemment chargé de préparer et diriger les travaux du grand monastère (1), à recommencer son voyage en orient. Il est singulier de rencontrer à Nuremberg une tradition semblable, aux apparences légendaires, à propos de la Via dolorosa pour laquelle le patricien Martin Koet zel se serait vu, lui aussi, dans la nécessité de réitérer, en 1472, sa visite à Jérusalem dans le but d'y relever des mesures une première l'ois égarées (2). A peine est-il besoin de rectifier certaines expressions que l'on aurait tort de prendre au pied de la lettre. Bâtie en simples moellons, avec chaînes d'encoignures en pierre, la modeste chapelle d'Aubevoye que volontiers, en raison de sa médiocre structure et d'un précoce dépérissement(1), on croirait avoir préexisté au sanctuaire souterrain dont elle serait devenue l'abri, si le cartulaire n'avait relaté l'acquisition par voie d'échanges, en avril 1578, des terrains où elle devait être érigée (1), est absolument dépourvue d'ornementation et de caractère. Elle n'eut jamais la prétention de rappeler les harmonieuses dispositions de la basilique constantino-justinienne, ni l'ampleur de ses nefs peuplées d'un quadruple rang de colonnes monolithes.
Les désirs du cardinal se limitèrent à obtenir une copie de l'étable de Bethléem, telle qu'on la voyait au XVIe siècle et depuis le moyen âge, sinon depuis l'époque lointaine où on l'enclava dans le sous-sol de l'église Sainte-Marie de la Nativité, telle enfin qu'elle s'y voit encore. Ses instructions ont été scrupuleusement suivies (1) ; le plan des deux cryptes est parfaitement conforme et, abstraction faite des revêtements de marbre qui décorent les murailles de l'une, des nombreuses lampes d'argent qui l'éclairent, l'aspect général est sensiblement le même.
De part et d'autre les dimensions, comme l'orientation de l'est à l'ouest, sont identiques.
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L'absidiole où, là-bas, sous la table d'autel, brille l'étoile radiée d'argent sur laquelle court l'inscription connue :
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*HIC DE VIRGINE MARIA JÉSUS CHRISTUS NATUS EST*
et l'anfractuosité de la crèche dont l'ouverture s'appuie à une colonne isolée se retrouvent ici. Des trois entrées, deux seulement subsistent. L'un des deux escaliers tournants et convergents, celui du nord, a été muré et l'on n'en aperçoit plus que l'amorce; l'autre correspond toujours à un portail extérieur, traduction libre des portes qui s'ouvrent dans le transept de la basilique, au-dessus duquel une pierre encastrée garde en relief les armoiries des Bourbon-Vendôme timbrées des insignes cardinalices. Il y manque cependant aujourd'hui l'emmarchement semi-circulaire qui descendait autrefois vers cette baie.
A l'intérieur de la crypte, beaucoup plus bas que les croix de consécration et à soixante centimètres environ du sol, on distingue, dans les parois latérales, de petites cavités ou alvéoles rondes qui auraient contenu, si mes conjectures ne me trompent, des fragments de la roche crayeuse où a été creusée l'étable bethléémite.
N'est-ce pas ainsi, selon M. Rohault de Fleury, que des fac-similé des clous de la Passion, dans la confection desquels on avait fait entrer un peu de limaille d'un clou authentique, devenaient des reliques proposées à la vénération des fidèles? (1).
D'ailleurs, Mgr X. Barbier de Montault signale dans le trésor de plusieurs églises des reliquaires qui contenaient « de la pierre du lieu où naquit le Christ» et à Sainte-Marie-Majeure, sous l'autel de la confession, l'urne de porphyre renfermant des morceaux de tuf calcaire tirés de l'étable de Bethléem (2).
Dans l'intention du prélat fondateur, les incrustations dont il sagit devaient achever l'assimilation du petit sanctuaire normand à la vénérable grotte de la Nativité.
La dévotion si répandue à la sainte enfance du Christ et ses touchantes manifestations ont revêtu les formes les plus variées, Bambino de l'église de l'Ara-Coeli, à Rome, « repos de Jésus » ou berceaux-reliquaires destinés à enchâsser des parcelles de la roche sacrée ou du bois de la crèche (1), scènes figurées du presepe chères aux populations de Naples et de la Sicile, groupes sculptés qui reçoivent, dans la région du nord, le nom prestigieux de « Bethléems ». Cependant, jusqu'à nos jours, il ne semble pas que l'on ait songé, ailleurs qu'à Aubevoye, à une exacte reproduction du lieu de l'auguste naissance.
La restauration et réouverture de cet unique sanctuaire le 24 novembre 1895 (2), après tout un siècle d'oubli, a pu contribuer à en suggérer la pensée. En 1899, à Brookland, près de Washington, le Commissariat de terre sainte faisait pratiquer, sous l'église conventuelle nouvellement construite,une représentation de la sainte crypte (3). De pareilles grottes, pour lesquelles notre Bethléem, préalablement visité, a servi de type, ont dû être exécutées, dans les années suivantes, à Immensée (Tell's Kapelle, Schwyz) et, en France, à Pont-Château (1). Je n'en ai pu trouver d'autres exemples.
Pourtant, comme le fait justement ressortir l'auteur d'une étude sur le saint sépulcre et ses imitations au moyen âge.
« c'est un attrait basé sur la nature des choses et qui a existé de tout temps de voir reproduits auprès de soi, par une image ou imitation, les monuments qui sont au loin l'objet d'un culte spécial.
Les chrétiens n'ont pas agi autrement au sujet des sanctuaires de Palestine qui ont été et qui sont particulièrement visités et vénérés comme les principaux lieux de pèlerinage sanctifiés par Notre-Seigneur et la Vierge Marie. Ce qu'ils ont trouvé de plus vénérable, leur zèle s'est efforcé d'en faire des fac-similé; ils ont voulu par là transporter en occident, dans leur propre patrie, les souvenirs qui faisaient revivre à leurs yeux la personne sacrée du Sauveur et de sa mère.
C'est cette pratique pieuse qui a fait élever des calvaires sur les rochers et sur les collines, des Scala sancta, des églises de l'Ascension, des stations du chemin de la croix dans les oratoires, sur les voies publiques et sur les murailles des églises, des chapelles de Lorette pour représenter la sainte maison de Nazareth » (1).
Tels furent, durant les trop courts séjours où, s'arrachant au tourbillon des affaires et aux soucis de la Cour, il venait chercher le repos et le recueillement dans son « désert » (2) de Gaillon, les sentiments qui incitèrentle cardinal de Bourbon à réaliser sa louable entreprise.
(1) Le saint sépulcre de Notre-Seigneur Jésus-Christ et ses imitations au moyen âge, dans Saint-François et la terre sainte, 1896, p. 209.
(2) Ce terme était familier au vieux cardinal et à ses successeurs : «Haecipsa planicies a regia Gallionis bellici tormenti jactu distat, cui pius fundator hanc suam eremum adjacere semper voluit etexpetivit...» Alm. etreg. Borb. Cartus. rer.gest. collect.,
p. 25 et 26 (Ms. 18, Bibl. de Louviersl. Quelques-unes de leurs lettres sont datées: « du désert archiépiscopal de Gaillon »