--- date: '2022-10-19T13:10:11' li-id: 6988486458462330881 li-url: https://www.linkedin.com/posts/jean-marc-jancovici_les-entreprises-r%C3%A9duisent-plus-leurs-%C3%A9missions-activity-6988486458462330881-KdKF title: CHANGE_ME 113 --- Même dotée d'une cervelle analytique, notre espèce a manifestement du mal à se départir de sa cervelle "Saint Thomas", c'est à dire celle qui ne croit que ce qu'elle voit. Nous savons que nous agissons préférentiellement quand les ennuis sont déjà là. Or, la dérive climatique à venir, c'est par définition des ennuis pas encore visibles. Dans ce contexte, il est tentant de penser que le problème va commencer à réellement nous motiver quand il sera effectivement sous notre nez. C'est ce que semble indiquer une analyse statistique effectuée par deux chercheurs d'écoles de commerce, qui publient un papier expliquant que les dirigeants d'entreprise plus exposés à des vagues de chaleur sont ensuite plus désireux de s'attaquer à la question climatique. Cette conclusion est cohérente avec ma modeste expérience de consultant. Parmi les motifs issus du "vécu personnel" qui peuvent pousser cette population à l'action, j'ai par exemple vu : - le dommage causé par des températures élevées ou la sécheresse à une parcelle de forêt (voire juste à un jardin) détenue par le dirigeant - la disparition progressive d'un glacier de montagne (car une partie des dirigeants se balade en montagne !) - la dégradation d'une zone de plongée... - et, dans une catégorie qui n'est pas celle des dommages à la nature, mais celle de l'expérience personnelle, on va aussi trouver la dissension avec des enfants qui désapprouvent l'inaction des parents. On pourrait se dire que c'est une bonne nouvelle : le climat commence à se dérégler, les dirigeants le constatent, ils passent à l'action, et hop on va régler le problème. Sauf que dans cette logique là nous sommes un peu trop proches du fumeur qui décide d'arrêter le jour où il a un cancer de la gorge. En effet, en matière de climat, le maître mot est l'inertie. Au moment où nous commencerons à agir fortement cela ne va pas rendre les émissions nulles, mais juste les faire baisser (ou augmenter moins vite). Or, tant que les émissions ne sont pas nulles, la concentration en CO2 augmente, et à la suite la température. Il faudra complètement arrêter les émissions pour que la température se stabilise. Et même à ce moment là, les calottes polaires vont continuer à réagir pendant des millénaires, l'océan va continuer à monter pendant la même durée, les écosystèmes vont mettre des décennies à des millénaires à se transformer (souvent pour moins bien) après stabilisation du climat, etc. Une fois que les ennuis sérieux démarrent donc, et sauf arrêt immédiat des émissions humaines (ce qui demanderait une pandémie pire que la peste ou une chute de comète), la seule certitude est alors que les ennuis vont continuer d'augmenter. Plus nous voudrons faire confiance à nos sens, plus nous prendrons de risques, paradoxalement. Cette inertie plaide aussi pour que nous nous occupions de résilience en même temps que de baisse des émissions. Cela remettrait au gout du jour ce vieux proverbe : mieux vaut prévenir que guérir.